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Une mission confiée par le premier ministre
Le 4 janvier dernier, le Premier ministre Jean Castex m’a nommé parlementaire en mission auprès de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance pour travailler, pendant 6 mois, sur l’accompagnement de la sortie de crise et le rebond économique territorial.
Notre pays est traversé par des fractures territoriales qui ne datent pas de l’irruption dans nos vies du coronavirus. La crise que nous traversons pourrait approfondir ces fractures en fragilisant plus encore les territoires les moins dynamiques. C’est la raison pour laquelle l’Etat et les collectivités locales ont mis sur pied des dispositifs des dispositifs de soutien exceptionnels pour les salariés et les entreprises.
Il fallait m’assurer qu’aucun territoire ne décroche durablement, que l’activité reprenne et que la croissance revienne. Ma mission avait donc deux objectifs :
- Établir une cartographie fine des vulnérabilités, territoire par territoire en consultant largement élus et responsables économiques locaux pour identifier les bassins d'activité les plus vivement exposés aux conséquences de la crise du fait de la baisse de la demande dans des secteurs comme l'aéronautique ou la disparition de petites entreprises ou d'indépendants.
- Formuler des propositions pour accompagner le rebond économique des territoires fragilisés, en complément des outils transversaux et puissants du plan France Relance, avec une attention particulière à la reconversion des salariés, la création et la croissance de nouvelles entreprises, la restructuration de celles qui connaîtront des difficultés, la situation des indépendants ou encore la reconversion du foncier.
Merci à l’Inspection Générale des Finances (IGF) et au Conseil Général de l’Économie (CGE) pour leur soutien précieux.
les 9 enseignements de mon Tour de France
1 - La situation de la France avant d’entrer dans la crise de la Covid‑19 était celle d’un territoire marqué par des inégalités croissantes et une forte métropolisation
Les 17 zones d’emplois de grandes agglomérations et à fonctions dites « métropolitaines » (INSEE) concentraient en effet 30 % de la population et 36 % de l’emploi national en 2017. Parallèlement, la combinaison des trois indicateurs de fragilité retenus par la mission [1] faisait ressortir des vulnérabilités particulièrement prononcées sur le quart Nord-Est et le pourtour méditerranéen. Indépendamment de la crise sanitaire et économique, l’épisode des Gilets jaunes avait fait la démonstration de ce que ces forts contrastes pouvaient entraîner comme répercussions sur le bien-être dans les territoires relégués et, partant, de la nécessité de faire de l’équité territoriale un objectif de politique publique.
[1] Trois indicateurs ont été retenus au vu de leur pertinence pour évaluer le déclin d’un territoire et de leur capacité à prédire le mal-être des habitants à la maille de la zone d’emploi : le taux de chômage (2019), le niveau de pauvreté (2018) et le solde migratoire des actifs (2017).
2 - Sur cette toile de fond, le choc de la Covid‑19 s’est réparti de façon très hétérogène sur les territoires, en ne recoupant que partiellement les inégalités préexistantes
Mesuré à partir de l’évolution de la masse salariale privée, la baisse d’activité est 2,3 fois plus forte que la moyenne nationale dans les 30 zones d’emploi les plus touchées et se concentre en région Sud, en Île-de-France et dans les Alpes. En outre, seules 8 des 30 zones d’emploi les plus affectées par le choc de la Covid-19 figurent dans les 30 plus fragiles d’avant crise. Une analyse par strates d’unités urbaines montre que plus grandes villes françaises (Paris, Lyon, Marseille) ont été les plus fortement touchées par le choc de la Covid‑19 (baisse de masse salariale privée de 13 % contre 8 % dans les unités urbaines de moins de 2 millions d’habitants).
3 - Dans les territoires les plus touchés, l’ampleur de la crise s’explique en partie par des facteurs locaux
Dans les 30 zones d’emploi les plus touchées par la crise, les facteurs locaux contribuent davantage à expliquer le choc que la composition sectorielle du tissu économique : ils expliquent ainsi 82 % de la baisse d’activité dans la zone d’emploi de Roissy et 57 % dans celle de la Tarentaise, qui sont les plus touchées sur la période de mars 2020 à février 2021.
4 - Ces contrastes territoriaux se reflètent fidèlement dans le ressenti des Français
Une analyse territorialisée de sentiment à partir des messages Twitter montre une détérioration plus prononcée de leur positivité dans les territoires les plus touchés par la crise. Sur la période de mars 2020 à février 2021, la positivité baisse de 9,2 points à Toulouse, 6,7 points à Roissy, ou de 6,5 points à Calvi par rapport à la même période un an auparavant.
5 - La crise affecte les mobilités résidentielles des Français et semble avoir provoqué l’amorce d’un nouvel « exode urbain »
La comparaison des flux résidentiels entre le second semestre 2019 et le second semestre 2020 montre en effet une hausse notable des acquisitions immobilières dans un autre département (13 %), particulièrement prononcée au départ des grandes métropoles (Paris, Marseille, Toulouse, Nantes) et à destination des départements périphériques moins denses et plus ruraux. Ces mobilités nouvelles dessinent ainsi une large auréole autour des métropoles : au départ de Paris, les plus fortes hausses d’acquisitions en volume se retrouvent par exemple en grande couronne, en Normandie ou dans le Centre-Val de Loire.
Évolution en volume des acquisitions de maisons anciennes par des acquéreurs en provenance de plusieurs départements différents entre le second semestre 2019 et le second semestre 2020
6 - Les mesures de soutien et de relance déployées pendant la crise ont permis jusqu’ici d’amortir les effets inégalement répartis du choc de la Covid‑19 sur les territoires
L’examen de la répartition territoriale des quatre principales mesures de soutien (fonds de solidarité, activité partielle, PGE, reports de cotisations sociales, soit au total 177,9 Md€) et des mesures de relance dont la répartition départementale était disponible (soit au total 14,8 Md€) indique qu’elles ont plus fortement bénéficié aux départements connaissant la baisse la plus marquée de la masse salariale privée pendant la crise.
7 - Lors de ses auditions et déplacements dans l’ensemble des régions de France métropolitaine, la mission a constaté des initiatives locales à valoriser et des freins à la reprise économique des territoires
Ce rapport met ainsi en avant des recommandations pour accélérer le rebond économique des territoires réparties en trois axes : le renforcement des coopérations entre acteurs locaux, la plus grande territorialisation des mesures de soutien et de relance, et la régénération du tissu économique des territoires les plus touchés.
8 - la crise actuelle doit aussi être l’occasion d’interroger en profondeurs les modalités d’intervention de l’État en soutien des territoires fragiles
Le seul recours aux zonages fiscaux n’a pas fait la preuve de son efficacité et le tournant pris vers une logique contractuelle, centrée sur des projets, doit être accentué. La mission propose la mise en place à l’horizon 2022 d’un « Pack rebond » pour les territoires fragiles, fondé sur une logique ascendante, une meilleure concentration des moyens et ouvrant droit à une palette d’instruments de revitalisation autour d’une notion unifiée de fragilité territoriale.
9 - le développement de nouveaux instruments de suivi territorial de l’exécution des politiques publiques devrait faciliter la prise en compte transversale des inégalités territoriales
À titre illustratif, la mission a en effet conduit un exercice de croisement des indicateurs départementaux des objets de la vie quotidienne et du baromètre de l’action publique avec la carte des fragilités territoriales. Celui-ci donne à voir comment pourrait être éclairée dans les mois à venir la répartition territoriale des moyens alloués dans le déploiement de chacune des politiques publiques.
Mes recommandations pour protéger et relancer nos territoires
Proposition n° 1 : Faciliter le prêt de main d’œuvre en élargissant la communication qui en est faite, en envisageant la possibilité d’un cumul APLD-PMO en sortie de crise et en prolongeant durablement les assouplissements juridiques apportés par la loi du 17 juin 2020.
Proposition n° 2 : Encourager les réponses groupées aux appels à projets France Relance en réservant une fraction des enveloppes pour ces initiatives.
Proposition n° 3 : Mettre à profit la hausse à venir des fonds de revitalisation, en les ciblant davantage vers les projets industriels locaux et les formations par les établissements d’enseignement supérieur et en mettant en place des structures permettant des interventions en capitaux propres sur d’autres entreprises d’un même territoire.
Proposition n° 4 : Prévoir une évaluation à un an de l’utilisation des fonds de revitalisation afin d’en optimiser l’allocation au cours des années à venir.
Proposition n° 5 : Accroître la densité du tissu de TPE/ PME dans les territoires les plus fragiles en expérimentant un dispositif d’aide à la constitution de contrats privés sur le modèle des contrats de réseaux italiens.
Proposition n° 6 : Orienter une part de l’enveloppe du fonds friches de manière privilégiée vers les territoires les plus fragiles en sensibilisant les préfets de région. Allonger également d’un an la fenêtre de dépôts des dossiers pour permettre à ces territoires de consolider leur projet de territoire autour des friches à réhabiliter.
Proposition n° 7 : Pérenniser un fonds friches en le ciblant sur les territoires les plus fragiles afin de purger le stock de friches existantes et de prévenir sa reconstitution.
Proposition n° 8 : Renforcer l’accompagnement des entreprises dans le cadre du plan de relance en s’inspirant des initiatives observées dans le Cher (« ambassadeurs pour la relance ») ou encore en Moselle (réseau des « développeurs France Relance »).
Proposition n° 9 : Créer une plateforme « ingenierie.gouv.fr » de mise en relation de l’offre et de la demande d’ingénierie publique, en stimulant l’offre par des incitations financières aux fonctionnaires et en fléchant certains postes déconcentrés du futur INSP sur des missions d’ingénierie dans les territoires (sous-préfets à l’animation économique, à la suite des sous-préfets à la relance).
Proposition n° 10 : Mettre à la disposition des services de l’État en région des enveloppes de subventions réservées au traitement de problématiques économiques localisées en vue d’apporter une réponse sur-mesure aux besoins spécifiques des territoires.
Proposition n° 11 : Pour les enveloppes inférieures à 50 M€, prévoir par défaut le principe d’une instruction au niveau déconcentré de tous les appels à projets à venir et réabondements éventuels afin d’accélérer l’instruction et de faciliter la communication avec les candidats.
Proposition n° 12 : Inciter à la mise en place au niveau régional d’une cellule de coordination État-opérateurs-région pour faciliter la réorientation des dossiers non retenus des appels à projets vers d’autres financements.
Proposition n° 13 : Encourager les partenaires sociaux à exploiter la possibilité ouverte par le code du travail de conclure des accords collectifs à portée locale au sein d’une même branche au profit des jeunes entreprises.
Proposition n° 14 : Expérimenter la possibilité pour les jeunes entreprises implantées dans les territoires fragiles de déroger aux accords de branches sur certains thèmes du « bloc 1 » (minima conventionnels, mesures relatives aux CDD, période d’essai des CDI…).
Proposition n° 15 : Mettre en place une aide à la création et à la reprise pour les jeunes de moins de 30 ans, sous forme de capital, d’un montant de 5 000 €, ciblée sur la création ou la reprise d’entreprises implantées dans les territoires les plus affectés par la crise.
Proposition n° 16 : Identifier les territoires sinistrés dans lesquels une offre d’enseignement supérieur pourrait être développée à proximité, par la voie de campus hybrides combinant enseignement physique et à distance.
Proposition n° 17 : Encourager la mobilité des enseignants-chercheurs dans les territoires identifiés comme prioritaires pour le développement de l’offre d’enseignement supérieur au moyen d’un système de bonification géographique ou déployer une politique d’agrément sur le modèle de celle du CNAM.
Proposition n° 18 : Inciter les collectivités territoriales à développer une offre d’accueil des télétravailleurs dans les territoires vulnérables, en diffusant les bonnes pratiques observées en Ariège et en apportant aux collectivités s’inscrivant dans une telle démarche des financements voire du foncier pour implanter des tiers-lieux.
Proposition n° 19 : Déployer à plus grande échelle l’offre de rachat des biens immobiliers des salariés licenciés pour motif économique dans les territoires économiquement fragiles expérimentée par Action Logement afin de favoriser la mobilité géographique.
Proposition n° 20 : Expérimenter une exonération partielle de DMTO sur l’achat d’une nouvelle résidence principale au profit des individus ayant fait l’objet d’un licenciement collectif sur la période 2020-2022 afin de faciliter leur mobilité, en ciblant géographiquement les territoires les plus fragiles où les perspectives de retrouver un emploi sont moindres qu’ailleurs.
Proposition n° 21 : Remédier aux frottements fiscaux et réglementaires à la reconversion d’un site industriel en rendant éligibles à l’exonération temporaire de TFPB les bâtiments repris après cinq ans sans activité ou après un PSE.
Proposition n° 22 : Mettre à exécution le projet de relèvement des seuils de saisine de la CNDP pour les équipements industriels soumis à la consultation du public le 12 février dernier.
Proposition n° 23 : Faire connaître France Expérimentation aux acteurs économiques et renouveler l’appel à projet lancé sur le projet de loi dit « 4D » sur tous les textes législatifs de simplification à venir.
Proposition n° 24 : Poursuivre l’allègement des normes applicables à la transformation de bureaux en logement en introduisant des dérogations aux règles d’accessibilité pour les bureaux qui n’y étaient pas soumis afin de tenir compte de la complexité des opérations.
Proposition n° 25 : Passer de façon temporaire et expérimentale les opérations de conversions de bureaux en logement soumises à permis de construire sous le régime de la déclaration préalable en allongeant le délai d’acceptation tacite.
Proposition n° 26 : Porter le délai de saisine de la CCSF en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire de deux mois à six mois en modifiant l’article R. 626‑13 du code de commerce.
Proposition n° 27 : Proposer un Pack Rebond dès 2022 aux territoires les plus fragiles qui unifierait les leviers d’intervention de l’État et intégrerait de nouveaux outils de revitalisation dans une logique ascendante.