Bioéthique : mon explication de vote

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Le mardi 15 octobre 2019 s’achevait l’examen en première lecture du projet de loi relatif à bioéthique à l’Assemblée nationale. Après une longue réflexion nourrie de nombreux échanges, j’ai décidé en âme et en conscience de m’abstenir sur ce texte. En faisant ce choix, je n’esquive ni le sujet ni sa complexité : j’exprime mon intime conviction. 

La question posée est celle de notre rapport au progrès technique, et à ses effets sur notre organisation sociale et notre humanité. A mesure que la science avance, elle nous libère des jougs qui nous oppriment, et ce faisant, elle nous humanise. Elle corrige, elle répare, elle améliore, elle protège, et nous permet ainsi de vivre mieux ensemble. En elle-même, la faculté de créer, d’innover, de repousser les limites de la connaissance constitue l’une des plus belles dimensions de la personne humaine. C’est la raison pour laquelle l’inventivité et la créativité de l’homme doivent être toujours encouragées. Mais le progrès scientifique n’est évidemment pas une fin en soi. Seule compte l’émancipation de la personne et de la communauté humaine. Or l’innovation vient parfois par inadvertance dégrader l’intégrité de l’homme et de son environnement. Il en est ainsi des révolutions industrielles successives, qui ont fait reculer la pauvreté et augmenter l’espérance de vie, au prix d’une pression sur les ressources de la planète dont nous commençons à percevoir les effets aujourd’hui. Il nous appartient donc, à chaque étape, de faire la part des choses et d’orienter le progrès dans la bonne direction, avec à cœur de construire un monde plus juste et fraternel.

Le projet de loi relatif à la bioéthique poursuit précisément l’objectif d’encadrer les progrès de la science en matière de recherche et de clinique de la procréation. Il prend acte d’une évolution sociétale indiscutable : plusieurs milliers de couples de femmes et plusieurs centaines de femmes seules ont recours chaque année à l’assistance médicale à la procréation (AMP) dans des pays étrangers. Or ces pays n’entourent pas toujours l’AMP des mêmes précautions éthiques que celles que nous nous imposons en France. Toutes choses égales par ailleurs, il est donc évidemment préférable qu’une femme puisse être suivie et accompagnée dans le cadre responsable que la France s’est donné pour l’AMP. Par ailleurs, le parcours des parents qui ont recours à cette technique est long, éprouvant et douloureux. Les médecins qui les suivent savent bien que le cadre restrictif de ces pratiques dans notre pays a pour contrepartie des échecs plus fréquents qu’ailleurs. Mais les rédacteurs du projet de loi ont résisté à la tentation d’aller trop vite, trop loin, dans le sens d’une sélection des embryons. Mieux : ils ont fixé de nouvelles limites à la recherche sur l’embryon. Ils ont aussi créé un nouveau droit pour les enfants : celui d’accéder à leurs origines. Les parlementaires, quant à eux, ont effacé de la loi certaines pratiques comme celle du bébé médicament, déjà abandonnée dans les faits, qui consiste à sélectionner un embryon indemne de la maladie génétique dont souffre un frère ou une sœur en vue de permettre la guérison de l’enfant atteint grâce à un prélèvement de sang de cordon. Pour toutes ces raisons, je ne pouvais m’opposer à ce texte en votant contre. 

Je ne pouvais pas pour autant me résoudre à voter pour tant il m’est apparu qu’il passait à côté de l’essentiel. A certains égards, le débat parlementaire s’est arrêté au milieu du gué, alors même que la protection des plus fragiles était en jeu. Nous aurions pu, par exemple, décider de porter secours aux enfants atteints de maladies graves en élargissant les possibilités de dépistage après leur naissance. Les amendements que nous avons proposés en ce sens ont été repoussés. Plus généralement, je crains qu’au moment même où nous ouvrons de nouveaux droits, ce qui semble au premier regard aller dans le sens du renforcement légitime des libertés individuelles, nous renoncions en même temps à résister aux forces qui fragilisent nos biens communs et notre capacité à vivre ensemble. Parmi ces forces, il y a l’individualisation de nos sociétés, héritage de la Renaissance et des Lumières, qui fut un progrès indiscutable pour l’humanité, mais qui nous interroge aujourd’hui. Le renforcement bienvenu des libertés individuelles n’a pu se faire qu’au prix du desserrement des solidarités traditionnelles. Dans nos quartiers, nos villages et nos villes, l’isolement et la solitude frappent nos consciences et nous rappellent à notre condition d’êtres ontologiquement sociaux, d’êtres de relations. Quand nous ouvrons la possibilité aux femmes seules d’avoir recours à l’AMP ou de congeler leurs ovocytes sans prendre immédiatement les mesures qui s’imposent pour conforter les solidarités et retisser le lien social, nous acceptons de laisser prospérer la solitude à laquelle les pressions qui s’exercent sur notre mode de vie nous assignent trop souvent. Je ne peux m’y résoudre. Parmi les forces qui fragilisent nos biens communs, il y a aussi l'hédonisme contemporain qui valorise la satisfaction des besoins individuels en éclipsant les vertus fondamentales du don. Nous avons pris l'habitude de penser que notre épanouissement ne passe que par l'acquisition de nouveaux droits, en oubliant que les impératifs que notre éthique nous impose font la richesse de ce que nous sommes. Certes, l’exposé des motifs du projet de loi prend soin de préciser que l’enfant est un sujet - et non pas un objet - de droits. Mais en ouvrant de nouveaux droits aux parents, sans engager simultanément de réflexion approfondie sur les devoirs attachés à la parentalité ni sur les droits des enfants, nous empruntons une voie qui nous éloigne du développement intégral de la personne humaine. Intimement convaincu que nous devons suivre un chemin de crête entre compromis avec la modernité et intransigeance sur l’essentiel, je ne pouvais donc voter ce texte en l’état.