Décryptage législatif – Le Passeport Vaccinal, quels enjeux ?

La Commission européenne a annoncé, le 1er mars, qu’elle allait présenter un projet de « passeport vaccinal » dans le courant du mois de mars. La France et l’Allemagne, qui jugeaient au départ un tel dispositif prématuré, montrent finalement leur intérêt pour la question, tandis que d’autres pays membres expérimentent d’ores et déjà différents types de certificats sanitaires.

Si la question du passeport vaccinal ne semble plus taboue, elle révèle cependant des fractures idéologiques et des obstacles juridiques.

Les juristes émettent des inquiétudes tant sur les projets de passeport vaccinal que de « pass sanitaire » pour accéder à certains lieux comme les restaurants ou les cinémas. Ils craignent notamment une rupture d’égalité devant la loi avec à la clef une censure constitutionnelle si une telle disposition était introduite dans la loi. Plusieurs autres questions juridiques surgissent aussi comme l’instauration d’une entrave disproportionnée à la liberté de chacun : la liberté d’aller et venir, la liberté de consentir ou non à un soin, ainsi que la responsabilité des personnes chargées de contrôler le respect de ces mesures et des sanctions en cas de violation de ces mesures.

L’opinion publique française, pour sa part, semble très favorable au passeport vaccinal (62% se déclarent pour).

À travers cet article, je recense six enjeux qui me semblent importants de prendre en compte dans la création d’un tel outil.

Enjeu 1 : Les contours du Pass Sanitaire

Le problème initial que pose le passeport sanitaire ou vaccinal est qu’aucune norme nationale ou européenne ne connaît ces termes.

Il y a ensuite un problème de sémantique sur l’utilisation du terme « passeport », qui a déjà un sens juridique, lequel certifie l'identité de la personne et sa nationalité. Ainsi, l’Union Européenne préfère le terme de « certificat ».

Par ailleurs, la question de l’étendue de ce dispositif se pose. Tout d’abord, s’agissant des personnes qui seraient concernées par la mise en œuvre de ce dispositif :

- Le passeport vaccinal serait ouvert uniquement aux personnes vaccinées 

- Le passeport sanitaire serait ouvert aux personnes vaccinées, aux personnes guéries de la Covid et aux personnes justifiant d’un test PCR de moins de 72h.

Ensuite s’agissant des domaines concernés par la mise en œuvre du dispositif :

- Le dispositif servira-t-il uniquement dans un premier temps à régir les entrées et sorties du territoire national français et étranger confondus et dans un second temps à conditionner l’accès aux lieux culturels, de loisirs et à terme les bars et les restaurants ?

- Le dispositif encadrera-t-il directement les entrées et sorties du territoire national et l’accès aux lieux culturels, de loisirs, bars et restaurants ?

Selon l’étendue du dispositif, cette dernière porte donc plus ou moins atteinte aux libertés.

Enjeu 2 : La rupture d’égalité devant la loi

Si le passeport vaccinal inquiète notamment au regard des obstacles juridiques auxquels il se confrontait, le pass sanitaire pourrait également rencontrer des obstacles similaires.

Le pass sanitaire dans ses modalités serait susceptible de traiter différemment les individus au regard de leur état de santé portant atteinte à leur liberté d’aller et venir.

Enjeu 3 : La liberté d’aller et venir

La liberté d’aller et venir est présentée comme l’un des obstacles majeurs à la mise en place du passeport vaccinal. Si le passeport vaccinal pourrait représenter une entrave à cette liberté, le risque est beaucoup moins important pour le pass sanitaire, tout d’abord au regard du large public auquel il s’adresse. En effet, chaque citoyen français est susceptible d’intégrer les trois catégories d’individus suivantes :

- Personnes vaccinées ;

- Personnes guéries de la Covid (test sérologique) ;

- Personnes présentant un test PCR de moins de 72h.

Ainsi, seuls seraient exclus les citoyens français qui refuseraient, soit de se faire vacciner, soit de se soumettre à un test PCR.

Le pass sanitaire apparaît donc plus approprié au regard de l’évolution de la campagne vaccinale en France. Néanmoins, le pass sanitaire pourrait également faire face à des obstacles juridiques, notamment à l’égard de la liberté d’aller et venir, selon l’étendue du dispositif.

- Si le dispositif est seulement mis en place pour encadrer les entrées et les sorties du territoire alors on encadre juridiquement ce qui est fait aujourd’hui pour que les voyages puissent reprendre de manière fluide et sécurisée.

- Si le dispositif conditionne l’accès aux lieux de loisirs et de culture et à terme les bars et les restaurants, alors la liberté d’aller et venir pourrait se poser. En effet, les individus n’ayant pas été vaccinés ou n’ayant pas contracté la Covid seront obligés, pour reprendre une vie normale, d’effectuer un test PCR (la question du coût de ce dispositif se posera). Si la campagne vaccinale ne s’accélère pas, cette catégorie d’individus sera importante, ainsi la rupture d’égalité sera immédiatement soulevée et peut être même les libertés économiques (liberté du commerce et de l’industrie) notamment si une réouverture n’est pas économiquement viable).

Le risque de censure du Conseil constitutionnel dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité a priori sera donc important.

Enjeu 4 : Une vaccination obligatoire déguisée ?

Si on imposait un passeport vaccinal pour accéder à des services culturels ou de loisirs, alors que le vaccin n’est pas obligatoire (tel qu’affirmé par le Président de la République et le Premier Ministre) et qu’il n’est toujours pas disponible à l’ensemble de la population, le dispositif du passeport vaccinal s’apparenterait à une vaccination obligatoire déguisée.

Est-ce que la question de la vaccination obligatoire déguisée peut se poser dans le cas du passeport sanitaire ?

Pas nécessairement, car le dispositif englobe l’ensemble de la population : chaque citoyen français est susceptible d’entrer dans les catégories de personnes auxquelles s’adresse le dispositif.

Enfin, on peut légitimement penser que lorsqu’une majorité de français aura été vaccinée, la question du conditionnement de l’accès aux lieux culturels, de loisirs, bars et restaurants pour les citoyens français résidants en France, ne se posera plus. En revanche, se posera encore la question de l’encadrement des entrées et sorties du territoire pour les Français et les étrangers, mais également la question de l’encadrement de l’accès aux lieux de loisirs, événements, bars et restaurants.

Enjeu 5 : Le caractère trop intrusif du dispositif

Plusieurs questions se posent :

- Comment prouver qu’on est vacciné ? De manière plus globale comment prouver qu’on est soit vacciné, soit immunisé (présence d’anticorps) soit non porteur du virus (test PCR) ?

- Qui est autorisé à contrôler l’état de santé des individus ?

-Les commerçants peuvent-ils avoir accès à des données aussi personnelles ?

Enjeu 6 : La protection des données

L’acceptation du dispositif suppose la protection des données des citoyens.

La question problématique porte sur l’accès donné, à certains laboratoires, à des données privées. Israël l’a fait avec Pfizer : partage des données sur les effets de l’immunisation de la population israélienne en échange de stocks de vaccins supplémentaires.

Serge Slama, Professeur en droit public, indique que pour que le dispositif soit accepté, il ne faut aucune transmission de données sur la personne vaccinée, il ne faut pas non plus qu’il y ait de données sur son état de santé parce qu’on peut très bien avoir été guéri de la Covid ou avoir des contre-indications. Voilà pourquoi le QR code apparaît comme la meilleure solution.

À la question de savoir si la mise en place d’un passeport sanitaire est possible juridiquement, la réponse est oui. L’Organisation mondiale de la santé a déjà mis en place par le passé un certificat pour la fièvre jaune exigé à l’entrée de plusieurs pays d’Afrique.