Que reste-t-il de la démocratie chrétienne ?

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La démocratie chrétienne a contribué à inspirer à l’Europe le modèle de société singulier qui la distingue des autres régions du monde. Syndicats, mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, acteurs du monde coopératif et de l’économie sociale et solidaire, responsables politiques : nombreux sont les héritiers de cette tradition, que certains perpétuent parfois sans même en avoir conscience. 

Tout au long du XXe siècle, l’action des élus d’inspiration démocrate-chrétienne a structuré la vie politique française. Avec la Résistance, d’abord, au sein de laquelle ils ont joué un rôle déterminant avant de se rassembler au sein du Mouvement républicain populaire (MRP), premier parti de France à la Libération. Avec la construction européenne, ensuite, dont ils ont été les fervents défenseurs, contre vents et marées. Avec l’émergence, enfin, d’une troisième voie face au bipartisme auquel le cadre institutionnel de la Ve République semblait condamner la France. Cette intuition des responsables politiques d’inspiration démocrate-chrétienne, de Jean Lecanuet à François Bayrou se concrétise, dans une certaine mesure, avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, précédant celle, quarante-trois ans plus tard, de Emmanuel Macron. 

S’il n’existe pas aujourd’hui de parti politique explicitement démocrate-chrétien – bien que le Mouvement démocrate descende en ligne directe du MRP –, c’est que, pour celles et ceux qui s’en réclament, la démocratie chrétienne est source d’inspiration plutôt que d’identité. Leur action dans le champ économique et social trouve ainsi ses origines dans la doctrine sociale de l’Eglise et l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII qui proposait, dès 1891, de réconcilier le capital et le travail face à la paupérisation et à l’accroissement des inégalités. C’est cet équilibre fragile entre protection des travailleurs et respect de la propriété privée, seul garant d’un développement économique compatible avec la cohésion du corps social, que les responsables politiques d’inspiration démocrate-chrétienne continuent de promouvoir. Ceux-ci ont accueilli avec enthousiasme l’encyclique Laudato Si’ du pape François, publiée en 2015, qui adresse au monde « une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète » en proposant une écologie humaniste qui « incorpore la place spécifique de l’être humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure », sans que cela implique d’« arrêter la créativité de l’homme et son rêve de progrès, mais d’orienter cette énergie vers des voies nouvelles ». Sans s’y référer explicitement, nombreux sont les élus démocrates-chrétiens qui s’engagent pour créer les conditions d’un développement authentiquement durable.

 Mais il ne s’agit évidemment pas pour ces élus de n’être que des relais de l’Eglise dans le champ politique. Les tenants de la démocratie chrétienne valorisent l’engagement civique et politique pour lui-même et défendent les vertus du pluralisme, du dialogue et de la confrontation des opinions contraires. Avec Marc Sangnier, les démocrates d’hier et d’aujourd’hui considèrent que « la démocratie est l’organisation sociale qui tend à porter au maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun». Cet attachement aux principes de la responsabilité et du pluralisme fonde, par exemple, la proposition du Mouvement démocrate d’instaurer une dose significative de proportionnelle aux élections législatives. L’attention portée aux collectivités et à leur autonomie par Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des Territoires, est, elle aussi, pleinement cohérente avec ce principe de responsabilité. De même, lorsque la question a été posée, François Bayrou, Bernard Stasi et d’autres de leurs collègues ont défendu une vision de la laïcité qui protège la liberté de croire ou de ne pas croire et d’exercer son culte dans une société pluraliste qui respecte et s’enrichit des différences. 

Autre fil rouge de la pensée d’inspiration démocrate-chrétienne : la promotion du lien social et des institutions qui contribuent à le tisser, à commencer par la cellule familiale. A la suite des élus démocrates-chrétiens de la IV République, fréquemment nommés au ministère de la Famille, fondateurs et premiers gestionnaires des allocations familiales, le Mouvement démocrate et son groupe parlementaire défendent, chaque année, le quotient familial et l’universalité des allocations familiales lors de la discussion des textes budgétaires. Sans doute est-ce par fidélité à ces principes que certains députés démocrates ont choisi de s’abstenir à l’occasion du vote du projet de loi relatif à la bioéthique au mois d’octobre 2019, plaçant ainsi leurs pas dans ceux de leurs prédécesseurs centristes qui s’étaient majoritairement abstenus sur les lois bioéthiques depuis 1994, à la recherche d’un chemin de crête entre compromis avec la modernité et intransigeance sur l’essentiel. 

Habités par la conscience d’un destin commun à l’humanité, les responsables politiques d’inspiration démocrate-chrétienne sont viscéralement attachés à la préservation de la paix. C’est la raison pour laquelle ils ont tant œuvré pour la réconciliation franco-allemande et la construction européenne, à chacune de leurs étapes. Leurs successeurs poursuivent cet ouvrage en plaçant l’Union européenne au cœur de leur action politique et en entretenant des relations d’amitié et de confiance avec les formations politiques démocrates d’autres pays européens, au sein notamment du Parti démocrate européen. Cet idéal de paix les pousse aussi à promouvoir une politique ambitieuse d’aide au développement des pays du Sud ainsi qu’un véritable partenariat avec l’Afrique pour « redonner des perspectives d’avenir et de l’espoir à la jeunesse africaine. » C’est dans le même esprit qu’ils abordent la question fondamentale des migrations, avec à cœur de faire reculer la misère par le dialogue entre les peuples. 

Retrouvez ma tribune publiée dans la revue trimestrielle France Forum de décembre 2019 à cette adresse.